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Ally n’est pas venue manger et nous l’avons laissée tranquille. De toute évidence, elle avait besoin de temps pour mettre de l’ordre dans ses émotions.
Marina est entrée dans la cuisine au moment où Claudia débarrassait la table.
— J’ai parlé à Georg, il arrive ce soir avant le coucher du soleil. Apparemment, votre père a donné des instructions très précises.
— Il faut que je prenne l’air après cet énorme repas, a déclaré CeCe. Quelqu’un a envie de faire un tour sur le lac ?
Mes sœurs ont tout de suite acquiescé. La tension montait, et une promenade offrait un bon moyen de diversion.
— Je ne viens pas, excusez-moi, ai-je dit. Quelqu’un doit rester ici pour Ally.
Quand elles sont parties en bateau avec Christian, j’ai prévenu Marina que je retournais au Pavillon. Là, confortablement installée sur le canapé avec mon ordinateur portable, j’ai commencé à lire le début du nouveau roman de Floriano Quintelas. Comme le premier, il était écrit avec une admirable maîtrise, exactement le genre de récit que j’adorais. L’histoire se passait un siècle auparavant, près des chutes d’Iguazu, et racontait les tribulations d’un jeune Africain échappant à l’esclavage. Plongée dans ma lecture, j’étais tellement détendue que j’ai dû m’assoupir. L’ordinateur a glissé de mes genoux et je me suis réveillée en sursaut au son d’une voix qui m’appelait.
C’était Ally.
— Excuse-moi, Maia. Tu dormais ?
— Oui, je crois…, ai-je murmuré, me sentant coupable sans trop savoir pourquoi.
— Ma m’a dit que les autres étaient parties en excursion sur le lac, alors je suis venue te parler. Je te dérange ?
— Pas du tout, ai-je répondu en émergeant lentement de ma torpeur.
— Je nous prépare un thé ? a proposé Ally.
— Oui, merci. Un English Breakfast, pour moi. Noir, sans sucre.
— Je sais.
Elle a souri et s’est éclipsée dans la cuisine. Quand elle est revenue avec deux tasses fumantes et a pris place sur le canapé, j’ai vu que ses mains tremblaient.
— Maia, il faut que je te raconte quelque chose.
— Oui, quoi ?
Ally a posé sa tasse sur la table basse, cédant à une impulsion soudaine.
— Tu n’as rien de plus fort que du thé ?
— Il y a du vin blanc dans le réfrigérateur.
Je suis allée chercher la bouteille et un verre. Ally ne buvait presque jamais, j’imaginais donc que ce qu’elle avait à me dire était grave.
— Merci…, a-t-elle murmuré quand je lui ai tendu le verre après l’avoir rempli. Ce n’est probablement pas si important, a-t-elle repris, mais quand je suis arrivée à l’endroit que le bateau de Pa venait de quitter, il y avait un autre yacht à l’ancre pas très loin.
— Ça n’a rien d’insolite, non ? À la fin du mois de juin, un tas de vacanciers sillonnent les eaux de la Méditerranée.
— Sauf que ce bateau-là… Mon ami et moi l’avons reconnu. C’était l’Olympus.
Alors que j’étais en train de porter ma tasse à mes lèvres, je l’ai reposée bruyamment sur la soucoupe.
Ally s’est mordu la lèvre avant de reprendre :
— Et tu sais ce qui s’est passé sur l’Olympus, n’est-ce pas ? Je l’ai appris en lisant le journal dans l’avion.
— Oui, je l’ai vu à la télé.
— Tu ne trouves pas ça étrange que Pa ait choisi justement cet endroit pour être jeté à la mer ? Et qu’au même moment, tout près de là, Kreeg Eszu décide de se suicider ?
Je pensais bien sûr – pour d’autres raisons que jamais je n’aurais révélées à Ally – que c’était une coïncidence absurde, presque risible. Mais plus que cela ? Non, je ne pouvais le concevoir.
— C’est étrange, en effet, ai-je répondu en m’efforçant de cacher mon trouble. Mais je suis certaine qu’il n’y a aucun lien. Ils ne se connaissaient même pas tous les deux, si ?
— Je n’en ai aucune idée, a dit Ally. D’ailleurs, que savions-nous finalement de la vie de Pa, en dehors de cette maison ou du yacht sur lequel il nous emmenait en croisière ? Ses amis, ses associés… Nous en avons rencontrés si peu. Après tout, deux hommes immensément riches, dans le milieu des affaires… Ils pouvaient très bien se connaître.
— C’est vrai. Tout de même, Ally, je persiste à croire que c’est une simple coïncidence. Regarde… Toi aussi, tu y étais ! Délos est une île magnifique, beaucoup de bateaux la prennent pour destination.
— Oui, oui… Mais je ne peux pas m’ôter de l’esprit l’image de Pa, tout seul au fond de la mer. À ce moment-là, je ne savais même pas qu’il était mort. Alors, l’imaginer sous cette eau d’un bleu incroyable ! Je…
J’ai passé un bras autour des épaules de ma sœur.
— Ally, je t’en prie, oublie cet autre bateau – ça n’a rien à voir. Mais le fait que tu te trouvais là-bas, et que tu as vu l’endroit où Pa a choisi d’être inhumé, au final, c’est réconfortant. Peut-être qu’on pourrait y aller cet été, comme l’a suggéré Tiggy, pour déposer une couronne.
Ally sanglotait maintenant.
— Je me sens tellement coupable !
— Pourquoi ?
— Parce que j’ai passé des journées merveilleuses sur ce bateau… J’étais heureuse, comme je l’ai rarement été dans ma vie. En réalité, je ne voulais pas qu’on puisse me contacter, alors j’ai éteint mon portable. Et pendant ce temps, Pa était en train de mourir ! Juste au moment où il avait besoin de moi, je n’ai pas été à ses côtés !
Je l’ai bercée doucement en lui caressant les cheveux.
— Ally, Ally… Aucune d’entre nous n’était avec lui. Et je crois sincèrement que telle était sa volonté. Même moi qui vis ici… J’étais partie quand c’est arrivé. D’après Ma, il n’y avait vraiment plus rien à faire, et nous devons la croire.
— Oui, je sais. Mais j’ai l’impression que j’avais encore tellement de choses à lui demander, tellement de choses à lui dire. Et maintenant, il n’est plus là.
— C’est notre sentiment à toutes. Au moins, on peut se soutenir les unes les autres.
— Tu as raison. Merci, Maia, a dit Ally avec gratitude. C’est incroyable comme nos vies peuvent basculer, en quelques heures…
— Oh oui, ai-je acquiescé sans réserve. En tout cas, un de ces jours, j’aimerais bien savoir ce qui te rendait si heureuse sur le bateau.
— Je te le dirai, c’est promis. Mais pas tout de suite. Et toi, comment tu vas ? m’a-t-elle demandé en changeant brusquement de sujet.
— Ça va, ai-je répondu avec un haussement d’épaules. Je suis sous le choc, moi aussi.
— Oui, je m’en doute, et il a fallu en plus que tu prennes sur toi pour l’annoncer à tout le monde. Je regrette de ne pas avoir été là pour t’aider.
— Heureusement que tu es venue très vite. Maintenant, on va pouvoir rencontrer Georg Hoffman, et avancer.
— Ah oui, j’ai oublié de te dire… Ma nous demande d’être à la maison dans une heure. Il sera là d’une minute à l’autre mais il veut d’abord lui parler, apparemment. Je peux avoir un autre verre de vin en attendant ?
* * *
À sept heures ce soir-là, Ally et moi sommes retournées à la maison où nous avons trouvé nos sœurs, assises autour de la table sur la terrasse, dans la lumière du soleil couchant.
— Georg Hoffman est arrivé ? ai-je demandé en prenant place.
— Oui, mais on nous a dit de patienter ici. Ma et lui ont disparu quelque part. Jusqu’au bout, Pa Salt continue à entretenir le mystère, a fait observer Électra, une note acerbe dans la voix.
Nous étions très tendues toutes les six. Enfin, Georg est sorti sur la terrasse avec Marina.
— Désolé de vous avoir fait attendre, mesdemoiselles. Je devais régler un petit détail. Mes condoléances à vous toutes, a-t-il dit avec raideur, puis il nous a serré la main à tour de rôle, dans le respect de la politesse traditionnelle suisse. Puis-je m’asseoir ?
— Bien sûr, ai-je répondu en désignant la chaise à côté de moi.
Je l’ai observé du coin de l’œil : tiré à quatre épingles dans un costume sombre, visage hâlé et parsemé de rides, cheveux argentés qui commençaient à se dégarnir. Je lui donnais une soixantaine d’années.
— Je rentre, a dit Marina en repartant vers la maison. Si vous avez besoin de moi…
Georg a alors pris la parole :
— Je regrette de faire votre connaissance dans des circonstances si tragiques… Bien qu’il me semble déjà très bien vous connaître, chacune, à travers les conversations que j’avais avec votre père. La première chose que je dois vous dire, c’est qu’il vous aimait énormément. Et en plus de l’amour, il éprouvait aussi une immense fierté de ce que vous êtes toutes devenues. Je lui ai parlé juste avant qu’il… ne nous quitte, et il m’a chargé de vous le transmettre.
À ma grande surprise, j’ai vu que des larmes discrètes montaient aux yeux de Georg. Pareille réaction, chez un homme qui devait rarement montrer ses émotions, me l’a rendu plus sympathique.
— En ce qui concerne les dispositions financières, sachez que vous serez à l’abri du besoin, et ce pour le restant de votre vie. Cependant, votre père ne voulait pas que cet héritage vous transforme en princesses oisives, selon ses propres termes. Aussi vous est-il alloué à chacune une rente, modeste, qui vous épargnera la pauvreté sans pour autant vous offrir le luxe. Votre père m’a exprimé son désir de manière catégorique : ce supplément-là, c’est vous qui devez le gagner, tout comme il a lui-même construit sa fortune. Néanmoins, le patrimoine familial a été transféré dans un trust que j’ai l’honneur d’administrer pour votre bénéfice. Je détiens donc le pouvoir discrétionnaire de vous attribuer une aide financière si vous me faites part d’une proposition ou d’une difficulté.
Nous gardions un silence religieux, notre attention tout entière fixée sur Georg.
— Cette maison aussi a été intégrée dans le trust, et Claudia et Marina se sont déclarées heureuses de continuer à s’en occuper. Le jour de la mort de la dernière sœur, le trust sera démantelé et Atlantis pourra être vendue. Les profits seront alors répartis entre les enfants que vous aurez eus. S’il n’y en a pas, l’argent reviendra à une association caritative choisie par votre père.
« Personnellement, a poursuivi Georg, je trouve ce dispositif extrêmement judicieux : la maison vous garantit une sécurité pour le restant de votre vie, même si, bien sûr, votre père souhaite que vous preniez votre envol pour forger votre propre destin.
Mes sœurs échangeaient des regards perplexes, ne sachant si elles devaient se réjouir de la décision de Pa. Quant à moi, ces modalités pratiques et financières ne changeaient pas grand-chose à ma vie. Je continuerais à habiter le Pavillon, pour lequel je payais un loyer à Pa, et ma carrière me procurait déjà de quoi subsister confortablement.
— Votre père vous a laissé autre chose, et pour cela je dois vous demander de venir avec moi. Si vous voulez bien me suivre…
Georg s’est levé. Au lieu de se diriger vers la porte de la maison, il a longé la façade et s’est engagé dans le parc. Nous marchions derrière lui, comme des agneaux conduits par un berger. Enfin, nous avons débouché dans un jardin secret, de l’autre côté d’une haie d’ifs impeccablement taillés, d’où l’on avait vue sur le lac, les montagnes et un spectaculaire coucher de soleil.
Au pied de l’esplanade qui le bordait en son extrémité, une volée de marches conduisait à une petite crique de galets où nous allions souvent nous baigner l’été, dans le clapotis d’une eau fraîche et claire. Je savais aussi que c’était l’endroit préféré de Pa. Quand je ne le trouvais pas dans la maison, je venais le chercher là et le découvrais assis parmi la lavande et les roses à l’odeur enivrante.
— Nous y sommes, a déclaré Georg. Et voici ce que je voulais vous montrer.
Suivant la direction indiquée par son doigt, nous avons ouvert de grands yeux à la vue de la sculpture d’une étrange beauté qui se dressait à présent au milieu de l’esplanade.
Nous nous sommes approchées de l’objet, fascinées. C’était un socle en pierre d’un mètre de hauteur environ, sur lequel était posée une structure insolite. En regardant plus attentivement, j’ai vu qu’il s’agissait d’un entrecroisement de minces cercles enfermant une petite boule dorée. Puis j’ai réalisé que la boule était en fait un globe, portant les continents finement gravés, piqué sur une mince tige de métal terminée d’un côté par une flèche. Tout autour, un autre cercle dépeignait les douze signes du zodiaque.
— Qu’est-ce que c’est ? a demandé CeCe, formulant la question que nous nous posions toutes.
— Une sphère armillaire.
Voyant nos mines interdites, Georg a développé :
— La sphère armillaire, qui représente la sphère céleste, existe depuis des milliers d’années. Les Grecs de l’Antiquité s’en servaient pour déterminer la position des étoiles, ainsi que pour lire l’heure. (Il a montré les cercles dorés qui enfermaient le globe.) Ici sont figurées les lignes équatoriales, latitudinales et longitudinales de la Terre. La ligne méridienne, qui les englobe toutes du nord au sud, porte les signes du zodiaque. Quant à l’axe central, il s’aligne sur Polaris, l’étoile Polaire.
— C’est magnifique, a soufflé Star en se penchant pour admirer la sphère.
— Oui, mais qu’est-ce que ça a à voir avec nous ? a demandé Électra.
— Je ne saurais vous l’expliquer, a répondu Georg, cela ne fait pas partie de mes attributions. Vous remarquerez seulement que vos noms apparaissent sur les cercles.
À nouveau, nous avons inspecté la sphère de plus près.
— Le tien est là, Maia, a dit Ally. Il est suivi de chiffres. On dirait des coordonnées géographiques… Oui, c’est ça, j’en suis sûre, a-t-elle repris en examinant son propre cercle. On s’en sert tout le temps pour la navigation en mer.
— Il y a aussi des inscriptions, a fait remarquer Électra, mais dans une langue étrangère.
J’ai aussitôt reconnu les caractères.
— Du grec ancien.
— Qu’est-ce qui est écrit ? a demandé Tiggy.
— Je ne sais pas, ai-je répondu en examinant le mystérieux message gravé à côté de mon nom. Il faut que je recopie les textes pour les déchiffrer.
— Bon d’accord, c’est un très bel objet que quelqu’un a installé là, sur l’esplanade. Mais qu’est-ce que ça veut dire, exactement ? a interrogé CeCe avec impatience.
— Encore une fois, je ne peux pas vous éclairer, a répondu Georg, s’écartant de quelques pas. Marina va servir du champagne sur la terrasse devant la maison, selon les instructions de votre père. Il voulait vous faire porter un toast à sa disparition. Ensuite, je vous remettrai à chacune une enveloppe de sa part. J’espère que vous y trouverez la réponse à vos questions.
Nous l’avons à nouveau suivi, sidérées et muettes. Sur la terrasse, en effet, deux bouteilles de champagne Armand de Brignac nous attendaient, ainsi qu’un plateau chargé de flûtes en cristal. Nous nous sommes regroupées autour de la table pendant que Marina commençait à servir.
Georg a levé sa flûte.
— À votre père, et à la vie remarquable qu’il a menée. Tel est l’enterrement qu’il souhaitait : toutes ses filles réunies à Atlantis, le foyer qu’il a eu l’honneur – ce sont ses propres mots – de partager avec vous durant tant d’années.
Semblables à des robots, nous avons levé nos flûtes.
— À Pa Salt, ai-je dit.
Mes sœurs m’ont fait écho.
— À Pa Salt.
Nous avons chacune bu une gorgée de champagne, un peu gênées. J’ai contemplé le ciel, puis le lac et les montagnes au-delà, et, silencieusement, j’ai dit à mon père que je l’aimais.
Puis Ally s’est tournée vers Georg.
— Et les lettres, alors ?
— Je vais les chercher, a-t-il répondu en partant aussitôt vers la maison.
— C’est la veillée funèbre la plus étrange à laquelle j’ai jamais assisté, a déclaré CeCe.
— Pa Salt a toujours été doué pour les surprises, a renchéri Électra avec un sourire las.
— Je peux avoir encore du champagne ? a demandé Ally.
Marina, remarquant que nos flûtes étaient vides, les a remplies à nouveau.
Star s’est approchée d’elle, l’air terriblement anxieux.
— Tu y comprends quelque chose, toi, Marina ?
Marina, énigmatique comme à son habitude, s’est contentée de répondre :
— Non, ma chérie, je ne sais rien de plus que vous.
— J’aimerais tellement qu’il soit là, a soupiré Tiggy dont les yeux se sont soudain mouillés de larmes. Pour nous expliquer en personne.
Ally l’a reprise avec douceur.
— Mais il nous a quittées… Et d’une certaine manière, il nous a rendu les choses très faciles. Maintenant, nous devons nous appuyer les unes sur les autres.
— Tu as raison, a dit Électra.
J’ai regardé Ally. Elle trouvait toujours les mots justes pour renforcer le lien entre nous, et je lui enviais ce talent.
Quand Georg est revenu, le champagne nous avait un peu détendues. Il s’est assis et a posé sur la table six enveloppes en papier vélin couleur crème.
— Ces lettres m’ont été confiées il y a environ six semaines, avec pour instruction de vous les remettre si votre père venait à mourir.
Nos yeux se sont fixés sur les enveloppes avec une curiosité mêlée de méfiance.
— Puis-je avoir une autre coupe de champagne, moi aussi ? a demandé Georg d’une voix où perçait la nervosité.
J’ai pris conscience qu’il se trouvait dans une position atrocement inconfortable. Même l’individu le plus pragmatique aurait souffert de devoir ainsi révéler à six filles les dernières volontés, pour le moins insolites, de leur père.
Marina s’est empressée de le resservir.
— Devons-nous les ouvrir maintenant, ou plus tard, séparément ? a demandé Ally.
— Quand vous vous sentirez prêtes. Votre père n’a rien stipulé sur ce point.
J’ai examiné mon enveloppe. À la vue de mon nom, tracé de la belle écriture de mon père, j’ai retenu mes larmes.
Mes sœurs et moi hésitions, chacune sondant les autres pour savoir ce qu’elles ressentaient.
— Je crois que je préfère être seule pour lire la mienne, a murmuré Ally.
Nous nous sommes toutes rangées à son avis. Comme d’habitude, Ally devinait instinctivement le secret de nos cœurs.
— Eh bien, ma mission est terminée.
Georg a vidé sa flûte, puis, fouillant dans la poche de sa veste, en a sorti six cartes qu’il nous a distribuées.
— Je vous en prie, n’hésitez pas à me contacter si vous avez besoin de mes services. Je serai disponible pour vous à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit. Mais connaissant votre père, je suis certain qu’il a anticipé les besoins de chacune. Je vous laisse, maintenant… Encore une fois, toutes mes condoléances.
— Merci, Georg, ai-je répondu. Merci infiniment.
Il s’est levé et nous a saluées d’un léger hochement de tête.
— Au revoir. Vous savez où me trouver… Inutile de me raccompagner.
Nous l’avons regardé partir en silence. Puis Marina s’est levée à son tour.
— Je crois que manger un peu nous ferait le plus grand bien. Je vais demander à Claudia de servir le dîner ici, a-t-elle dit avant de disparaître dans la maison.
— J’ai presque peur de l’ouvrir, a soufflé Tiggy en considérant son enveloppe. Je n’ai absolument aucune idée de ce qu’elle peut contenir.
— Maia, tu crois que tu pourrais retourner voir la sphère armillaire pour traduire les textes ? a interrogé Ally.
— Oui, bien sûr. Après le dîner, ai-je ajouté voyant que Marina et Claudia revenaient déjà, les bras chargés de plateaux.
— Vous ne m’en voudrez pas, mais je n’ai pas faim, a déclaré Électra en repoussant sa chaise. À plus tard.
Là-dessus, elle s’est éloignée à pas pressés. Nous aurions toutes aimé avoir son courage, je le savais. Nous désirions toutes être seules.
— Tu as faim, Star ? a demandé CeCe.
Star, les mains crispées sur son enveloppe, a répondu d’une petite voix :
— Oui, je crois qu’on devrait manger un morceau.
— Bon, d’accord, a dit Cece.
Après s’être forcées à avaler ce que Claudia avait préparé avec amour, une par une, mes sœurs se sont levées et ont quitté la table en silence, jusqu’à ce qu’il ne reste plus qu’Ally et moi.
— Ça t’ennuie si je vais me coucher aussi, Maia ? a dit Ally. Je suis complètement vidée.
— Non, bien sûr. Tu as été la dernière à l’apprendre. C’est normal, tu es encore sous le choc.
— Oui, j’ai du mal à reprendre pied, a-t-elle soupiré en se levant. Bonne nuit, Maia.
— Bonne nuit.
Tout en la regardant s’éloigner sur la terrasse, j’ai refermé les doigts sur mon enveloppe. Je n’y avais pas touché depuis le début du repas. Je suis restée un moment immobile à la table, puis, à mon tour, me suis levée et j’ai regagné le Pavillon.
Dans ma chambre, j’ai glissé l’enveloppe sous mon oreiller. Je suis ensuite passée dans mon bureau pour prendre du papier et un stylo, j’ai attrapé une torche électrique, et je suis retournée voir la sphère armillaire.
La nuit tombait sur les jardins, et les premières étoiles apparaissaient. Pa Salt m’avait souvent montré les Sept Sœurs dans son observatoire. Entre novembre et avril, elles scintillaient juste au-dessus du lac.
— Tu me manques, ai-je murmuré aux cieux. J’espère qu’un jour, je comprendrai.
Parvenue devant la sphère, je me suis penchée sur les cercles dorés qui entouraient le globe et j’ai recopié de mon mieux les caractères grecs en m’éclairant maladroitement avec la torche. Je me suis promis de revenir le lendemain pour m’assurer que je ne m’étais pas trompée. À la fin, j’ai recompté les phrases que j’avais notées.
Il y en avait six.
J’ai alors remarqué un dernier anneau qui avait échappé à mon inspection. Le septième cercle. Mais quand je l’ai éclairé avec ma lampe, j’ai vu qu’il ne portait aucune inscription.