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— J’ai de bonnes nouvelles ! C’est l’occasion de vous offrir votre premier caipirinha.

Floriano m’avait retrouvée à l’hôtel et débordait d’enthousiasme. Nous nous sommes assis à une table sur le bord de la terrasse. Le soleil descendait au-dessus de la plage, disparaissant lentement derrière les montagnes tandis qu’avec le crépuscule tombait une douce chaleur.

Il m’a tendu une feuille qu’il avait sortie d’une pochette en plastique.

— Voilà la liste de toutes les naissances, et de tous les mariages et décès dans la famille Aires Cabral depuis 1850.

J’ai survolé ces noms du regard, mais je n’arrivais toujours pas à imaginer qu’ils soient liés à mon histoire.

— Vous constaterez que Gustavo Aires Cabral a épousé Izabela Bonifacio en janvier 1929. Leur fille, Beatriz Luiza, est née en avril 1930 mais son décès n’a pas été enregistré, ce qui laisse à supposer, pour l’instant, que c’est la vieille dame que vous avez rencontrée hier.

— A-t-elle eu des enfants ?

— Oui, une fille, Cristina Izabela, née en 1956 de son mariage avec Evandro Carvalho en 1951.

— Carvalho ! Mais c’est le nom de la vieille dame ! Et Cristina ? Qu’est-elle devenue ?

— La piste s’arrête là, du moins pour les naissances et les décès à Rio. Si Cristina a eu des enfants, je n’en ai trouvé aucune trace. Mais nous ne connaissons pas le nom du père, elle n’était peut-être même pas mariée. Hélas, les bureaux fermaient et je n’ai pas eu le temps de tout vérifier.

— En fait… si jamais, au grand jamais, nous étions apparentées, Cristina est la mieux placée pour être ma mère, ai-je fait remarquer à voix basse au moment où l’on apportait mon cocktail. Saúde, ai-je dit en levant mon verre pour trinquer avec Floriano.

J’ai avalé une grande goulée et Floriano a éclaté de rire quand le liquide fort et amer m’a pris à la gorge.

— Je suis désolé. J’aurais dû vous prévenir que c’était corsé ! Au Museu da República, mon ami a jeté un coup d’œil sur l’inscription au dos de la mosaïque avec son matériel, a-t-il repris tout en sirotant son caipirinha comme s’il buvait de l’eau. La seule chose dont il est certain, c’est le premier nom, Izabela, et si l’on en croit les archives que j’ai consultées, elle serait votre arrière-grand-mère.

— Et l’autre nom ?

— Il est beaucoup moins lisible mais mon ami, Stephan, va poursuivre ses recherches. Il est néanmoins arrivé à déchiffrer les trois premières lettres.

— Celles du nom de mon éventuel arrière-grand-père, Gustavo Aires Cabral ?

— Non, pas du tout. (Floriano a sorti une autre feuille.) Là, regardez, Stephan les a copiées.

Je lui ai lancé un regard dubitatif après avoir lu.

— L A U ?

— Patientez encore vingt-quatre heures et je suis convaincu que Stephan aura la réponse. Je vous le promets, c’est un champion. En reprendrez-vous un autre ? m’a-t-il demandé en indiquant du doigt mon caipirinha.

— Non, merci. Je crois que je vais plutôt boire un verre de vin blanc.

Après avoir commandé nos boissons, Floriano m’a fixée d’un regard intense.

— Qu’y a-t-il ?

— Il faut que je vous montre quelque chose, Maia. Il n’y a pas de meilleure preuve que vous faites partie de la famille Aires Cabral. Vous êtes prête ?

— Ce ne sont pas des mauvaises nouvelles ?, ai-je demandé, soudain anxieuse.

— Non. Personnellement, je trouve que c’est une belle découverte. Voilà.

Une autre feuille a atterri devant moi. La photo graineuse d’un visage de femme remplissait toute la page.

— Qui est-ce ?

— Izabela Aires Cabral. Son nom est gravé au dos de votre mosaïque, et elle pourrait être votre arrière-grand-mère. Maia, vous devez forcément voir la ressemblance ?

J’ai étudié les traits de cette femme et il m’a fallu reconnaître qu’en effet, j’y voyais le reflet de mon visage.

— C’est possible, ai-je répondu en haussant les épaules.

— Maia, c’est frappant ! a déclaré catégoriquement Floriano. Et ce n’est qu’une des photos d’Izabela, il y en a toute une collection. Elles ont été publiées dans de vieux journaux que j’ai consultés sur microfiche à la Bibliothèque nationale, et à l’époque, on la considérait comme l’une des plus belles femmes du Brésil. Son mariage avec Gustavo Aires Cabral, à la cathédrale de Rio, ici, en janvier 1929, a été le mariage de l’année dans la haute société.

— Cela pourrait n’être qu’une simple coïncidence…, ai-je rétorqué, gênée par le compliment implicite de Floriano. Mais…

— Mais, quoi ?

— À la Casa das Orquídeas, au coin de la terrasse, j’ai remarqué une sculpture… Elle représente une femme assise sur une chaise et je suis certaine que c’est la même personne que sur la photo. Et, c’est vrai, elle me rappelait quelqu’un.

— Mais bien évidemment ! C’est votre portrait craché ! Nous avons déjà bien avancé dans nos recherches, non ?

— Et je vous en suis très reconnaissante, Floriano. Pourtant, je doute que la vieille dame que j’ai rencontrée hier dévoile quoi que ce soit, et elle n’admettra jamais que nous avons un lien de parenté. Elle n’y a aucun intérêt. Vous ne réagiriez pas comme elle dans une telle situation ?

— En effet. Si une inconnue s’introduisait dans mon jardin et se déclarait membre de ma famille, même si elle présentait une ressemblance frappante avec ma mère, j’aurais du mal à le croire, a concédé Floriano.

— Alors, que faire maintenant ?

— Il faut retourner la voir et, cette fois, je vous accompagnerai. Je pense qu’elle vous accordera plus d’attention si elle me voit à vos côtés.

Je n’ai pas pu réprimer un petit sourire narquois. Floriano était certain que la vieille dame saurait qui il était. J’avais remarqué que les Sud-Américains faisaient preuve d’une honnêteté simple, sans complexe, lorsqu’il s’agissait d’afficher leurs talents et leur succès.

— J’ai aussi envie de voir cette sculpture dont vous m’avez parlé, Maia, a continué Floriano. Cela vous ennuierait que je vienne avec vous ?

— Pas du tout. Vous m’avez déjà tellement aidée.

— Et avec grand plaisir, croyez-le bien. Tout de même, vous êtes le sosie de la plus belle femme que le Brésil ait jamais vue !

Ses paroles m’ont fait rougir mais, cédant à ma méfiance naturelle, je me suis immédiatement interrogée. Attendait-il quelque chose en échange du soutien qu’il m’avait apporté ?

— Excusez-moi, a-t-il dit quand son portable a sonné.

Il a parlé vite, en portugais, avec quelqu’un qu’il a appelé querida, puis il m’a regardée en soupirant.

— Hélas, je dois vous quitter. Petra, la jeune fille qui habite avec moi, a encore trouvé le moyen de perdre ses clés… Est-ce que cela vous convient si je passe vous prendre demain vers dix heures trente, avant que la senhora Beatriz Carvalho entame sa sieste ?

Je me suis contentée d’acquiescer de la tête.

— Je vous en prie, ne bougez pas, a-t-il ajouté en se levant. Finissez tranquillement votre verre. À demain, Maia. Tchau.

Là-dessus, il s’est éloigné après avoir salué de la tête la serveuse qui l’avait reconnu et le fixait d’un regard admiratif. Tout en sirotant mon vin, je me suis sentie ridicule d’avoir pensé, un instant plus tôt, qu’il voulait coucher avec moi. Quelle idiote !

Comme tout le monde, il avait sa vie. J’ai porté mon verre à mes lèvres en me disant que, moi aussi, j’étais peut-être sur le point de découvrir la mienne.