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Je me suis réveillée à neuf heures après une nuit paisible, mon corps s’étant enfin adapté au décalage horaire. J’avais pris l’habitude de me baigner tous les jours et suis donc descendue à la plage. De retour à l’hôtel, j’ai relu les lettres puis dressé une liste de questions que je voulais poser à Yara. J’ai ensuite déjeuné sur la terrasse, avec un verre de vin pour me détendre. Yara refuserait-elle de m’en dire plus ? D’ailleurs, était elle-même au courant des circonstances de mon adoption ? Dans le cas contraire, je ne saurais plus vers qui ou quoi me tourner.

* * *

— Vous êtes optimiste ? m’a demandé Floriano dans la voiture.

— J’essaie de l’être. Ce qui me tracasse, c’est que cette histoire me tient énormément à cœur maintenant.

— Je sais, je le sens bien, a répondu Floriano.

Quand nous sommes arrivés devant la Casa, le portail était fermé, mais pour notre plus grand soulagement, le cadenas avait disparu.

— Jusqu’à maintenant, tout se passe bien, a déclaré Floriano. Je vous attends ici.

— Vous êtes sûr ? Vous pouvez m’accompagner, ça ne me dérange pas.

— Allez-y seule. Une conversation entre femmes, ce sera mieux. Bonne chance.

Il m’a pris la main et l’a serrée longuement avant que je ne sorte de la voiture.

Prenant une grande inspiration, j’ai traversé la route et quand j’ai poussé le portail, il s’est ouvert avec le grincement d’un mécanisme longtemps laissé à l’abandon. Je me suis retournée pour regarder Floriano. Assis dans la Fiat, il ne me quittait pas des yeux. Je lui ai fait un petit signe de la main avant de remonter l’allée et de grimper les marches du perron.

Je n’ai pas attendu. Yara devait me guetter derrière la porte car elle a ouvert immédiatement. Elle m’a fait entrer et a ensuite refermé en donnant un tour de clé.

— Je n’ai pas beaucoup de temps, m’a-t-elle annoncé avec angoisse.

Je l’ai suivie le long du couloir sombre jusqu’au salon où nous avions rencontré la senhora Carvalho.

Aujourd’hui, les volets étaient clos et une petite lampe jetait une lumière blafarde dans la pièce.

— Je vous en prie, asseyez-vous.

J’ai obéi, tandis que Yara, très raide, se posait sur le bord d’une chaise en face de moi.

— Je suis vraiment désolée que mon arrivée soudaine vous ait alarmées, la senhora Carvalho et vous, ai-je commencé. Mais si vous m’avez donné ces lettres, c’est bien pour une raison ? Vous deviez vous douter que je voudrais en savoir plus après les avoir lues…

— Oui, oui… Senhorita, vous voyez bien que votre grand-mère est mourante. Quand elle ne sera plus là, je n’ai aucune idée de ce que je vais devenir. Je ne sais même pas si elle m’aura laissé de quoi vivre.

Je me suis immédiatement demandé si Yara cherchait à être payée en échange des renseignements qu’elle me fournissait. Dans ce cas, pouvais-je lui faire confiance ? Me voyant froncer les sourcils, elle m’a tout de suite rassurée.

— Je ne demande pas d’argent. Laissez-moi m’expliquer. Si elle m’a légué une pension, elle changera peut-être son testament en apprenant que je vous ai parlé aujourd’hui.

— Mais pourquoi ? Qu’est-ce qu’elle ne veut pas que je sache exactement ?

— Senhorita Maia, c’est à cause de votre mère, Cristina. Elle a quitté cette maison il y a plus de trente-quatre ans. La senhora Carvalho va mourir, je ne pense pas que ce soit le moment de raviver des souvenirs pénibles, vous comprenez ?

Je me suis mise à trembler en entendant parler de ma mère pour la première fois.

— Non, pas vraiment… Alors, pourquoi m’avez-vous donné ces lettres, écrites par mon arrière-grand-mère, trois générations avant ma naissance ?

— Parce que si vous voulez comprendre votre histoire, il faut partir du début. Mais je ne peux que vous répéter ce que m’a dit ma mère, Loen, car je venais tout juste de naître moi-même quand la senhora Izabela a accouché de la senhora Carvalho.

— Yara, je vous en supplie, racontez-moi tout ce que vous savez, ai-je insisté d’une voix pressante. Je vous assure que je ne vous mettrai jamais dans une situation difficile. Cette conversation restera entre nous.

Yara m’a regardée droit dans les yeux.

— Et si vous appreniez que vous pourriez hériter de cette maison ?

— J’ai été adoptée par un homme fabuleusement riche et je ne manque de rien. Yara, je vous en supplie, dites-moi la vérité.

Elle m’a dévisagée pendant quelques secondes puis, capitulant, a poussé un long soupir.

— Les lettres que vous avez lues, adressées à ma mère… Il n’y en a aucune après le retour de la senhora Izabela au Brésil, n’est-ce pas ?

— Oui. La dernière a été envoyée du paquebot, pendant une escale en Afrique. Je sais que Bel est revenue à Rio, j’ai vu les photos de son mariage avec Gustavo Aires Cabral dans les archives.

— Oui. Alors, je vais vous raconter ce que je sais par ma mère… Ce qui est arrivé à Izabela durant les dix-huit mois qui ont suivi…