16

Deux semaines plus tard, les trois membres de la famille Aires Cabral furent reçus en grande pompe à la Mansão da Princesa. Antonio ne ménagea pas ses efforts pour les impressionner, et, au cours du dîner, il mentionna la prospérité de ses affaires et la hausse constante des prix du café depuis que la demande ne cessait d’augmenter en Amérique.

— Notre famille possédait autrefois plusieurs plantations près de Rio, mais cette activité n’a pas survécu à l’abolition de l’esclavage, expliqua le père de Gustavo.

— Ah oui, fit Antonio. Par chance, les miennes se trouvent dans la région de São Paulo, où la main-d’œuvre n’était pas uniquement constituée d’esclaves. Il faut dire aussi que les terres là-bas se prêtent bien mieux à la culture du café. Je crois que notre récolte compte parmi les meilleures. Nous la goûterons après le dîner.

— Bien sûr, nous devons accepter les changements du Nouveau Monde, concéda Maurício d’une voix compassée.

— Tout en maintenant les valeurs et les traditions de l’ancien, ne manqua pas de souligner la mère de Gustavo.

Bel observa Luiza Aires Cabral pendant le dîner, son visage qui s’autorisait rarement un sourire. Nul doute qu’elle avait dû être très belle en sa jeunesse, avec ses yeux d’un bleu étonnant et ses traits finement modelés, mais il semblait que l’amertume, en la rongeant de l’intérieur, avait effacé tous ses charmes. Bel se fit la promesse de ne jamais lui ressembler, quel que soit le tour que prendrait sa vie.

Gustavo s’adressa à elle de sa voix discrète.

— Il paraît que vous connaissez la fille de Heitor da Silva Costa, Maria Elisa. C’est une de vos bonnes amies ?

— Oui.

— La semaine prochaine, mon père et moi allons rencontrer le senhor da Silva Costa sur le Corcovado, afin qu’il nous montre ses plans. Pai est membre du Cercle catholique qui a lancé le premier l’idée d’un monument au Cristo. Il paraît que le projet du senhor da Silva Costa change constamment, et je ne lui envie pas la tâche qui lui incombe, à plus de sept cents mètres d’altitude…

— Je ne suis jamais montée au sommet, dit Bel. Pourtant nous habitons tout près, le pied de la montagne touche littéralement nos jardins.

— Peut-être que votre père me permettra de vous y emmener.

— Cela me ferait plaisir, merci, répondit-elle poliment.

— Marché conclu. Je lui demanderai tout à l’heure.

Bel se détourna pour manger son pudim de leite condensado. Mais en plongeant sa cuillère dans le délicieux dessert nappé de caramel, elle sentait toujours les yeux de Gustavo posés sur elle.

Deux heures plus tard, après qu’une domestique eut refermé la porte derrière leurs invités, Antonio se tourna vers Carla et Bel, le visage rayonnant.

— Je crois qu’ils étaient impressionnés. Et toi, ma princesa – il prit le menton de Bel entre deux doigts –, tu auras bientôt des nouvelles de Gustavo. Avant de partir, il m’a demandé s’il pouvait t’emmener sur le Corcovado la semaine prochaine. C’est l’endroit parfait pour faire une demande en mariage, non ?

Bel ouvrit la bouche pour émettre une réponse dubitative, mais elle se rappela alors sa prière à la Sainte Vierge et son vœu d’obéissance.

— Oui, Pai, dit-elle en baissant sagement les yeux.

Plus tard, alors qu’elle se mettait au lit, regrettant une fois de plus l’absence de Loen, on frappa à la porte.

Le visage de Carla apparut.

Querida. Je ne te réveille pas ?

— Non, Mãe. Viens…

Elle tapota le lit pour inviter sa mère à s’asseoir. Carla s’installa près d’elle et lui prit les mains.

— Izabela, je t’en prie, rappelle-toi que tu es ma fille chérie… Je te connais bien, et puisqu’il semble que Gustavo s’apprête à te demander en mariage, je dois te poser une question : est-ce là ce que tu souhaites ?

Se remémorant son vœu, Bel réfléchit un moment avant de répondre.

— Mãe, la vérité, c’est que je ne suis pas amoureuse de Gustavo. Et je n’aime pas non plus sa mère, ni son père. Nous savons toutes les deux qu’ils nous méprisent et préféreraient une épouse portugaise pour leur fils unique. Mais Gustavo est gentil, et je crois que c’est un homme bon. Je sais combien ce mariage vous réjouira, surtout Pai. Donc…

Bel ne put retenir un petit soupir avant de poursuivre :

— S’il me demande de l’épouser, j’accepterai avec plaisir.

Carla contempla gravement le visage de sa fille.

— Tu es sûre, Bel ? Quoi que désire ton père, je dois savoir ce que tu éprouves vraiment. Ce serait un terrible péché que de te soumettre à une vie que tu ne désires pas. Par-dessus tout, je veux que tu sois heureuse.

— Merci, Mãe. Je pense que je le serai.

Après un silence, Carla reprit :

— L’amour entre une femme et un homme grandit avec les années. Fais-moi confiance, je le sais. J’ai épousé ton père. (Elle eut un petit rire amer.) Moi aussi, j’ai eu des doutes au début, mais maintenant, malgré tous ses défauts, je n’en changerais pas. Et, ne l’oublie jamais, il est important que l’homme soit plus amoureux de la femme que l’inverse.

— Pourquoi dis-tu cela, Mãe ?

— Parce que, ma chérie, le cœur des femmes peut être inconstant et aimer plusieurs fois. Les hommes montrent moins leurs émotions, mais lorsqu’ils aiment, ils aiment en général pour toujours. J’ai la certitude que Gustavo t’aime, je le vois dans ses yeux quand il te regarde. Et cela te garantit que tu garderas ton mari, et qu’il ne s’éloignera pas de toi.

Carla embrassa sa fille.

— Dors bien, querida.

Ce soir-là, Bel resta longtemps éveillée, les paroles de sa mère résonnant à ses oreilles. Elle espérait seulement qu’elle ne se trompait pas.

* * *

— Tu es prête ?

— Oui.

Bel se soumit patiemment à l’examen de ses parents dans le salon.

— Tu es magnifique, ma princesa, dit Antonio avec admiration. Quel homme pourrait te repousser ?

— Te sens-tu anxieuse, querida ? demanda Carla.

— Je prends le train pour aller au Corcovado avec Gustavo, c’est tout, répondit Bel en contenant à grand-peine son irritation.

Antonio sursauta quand il entendit la sonnette de la porte d’entrée.

— Nous verrons bien…, dit-il. Le voilà.

— Bonne chance, et que Dieu te garde, dit Carla en embrassant sa fille sur les deux joues.

Dans le vestibule, Gabriela fixa sur sa tête le nouveau chapeau cloche acheté pour l’occasion.

Gustavo se tenait debout sur les marches du perron, maigre et chétif, mais plus pimpant qu’à son habitude dans un costume crème, coiffé d’un élégant couvre-chef.

— Senhorita Izabela, vous êtes superbe. Mon chauffeur nous attend au portail…

Quand ils furent installés à l’arrière de la voiture, Bel s’aperçut que Gustavo était beaucoup plus tendu qu’elle. Il garda le silence pendant les trois minutes que dura le trajet jusqu’à la petite gare d’où partait le train pour le Corcovado. Puis, lui ayant offert son bras, il l’entraîna vers l’un des deux wagons accrochés à une minuscule locomotive.

— J’espère que la vue vous plaira, malgré le manque de confort, dit-il lorsqu’ils eurent pris place à l’intérieur.

Le train commença l’ascension de la montagne. La pente était si raide que Bel devait lutter pour garder la tête droite. Déstabilisée par une secousse, elle se raccrocha instinctivement à l’épaule de Gustavo et il lui passa un bras autour de la taille.

C’était le geste le plus intime qui ait jamais été échangé entre eux, et si Bel ne ressentit aucun émoi, elle n’éprouva pas non plus de répulsion. Cela ressemblait à l’étreinte rassurante d’un grand frère. Comme le bruit de la locomotive rendait toute conversation impossible, elle se détendit et prit plaisir au voyage tandis que le petit train traversait une jungle luxuriante, celle-là même qui prenait naissance au fond de son jardin.

Elle fut presque déçue quand le train arriva à la gare et que les passagers descendirent.

— Il y a un belvédère un peu plus loin d’où l’on a une vue superbe sur Rio, déclara Gustavo. Ou bien nous pouvons grimper les marches et aller voir les fondations du Cristo Redentor.

— Oui, montons tout en haut, répondit Bel en souriant, et elle remarqua l’air approbateur sur le visage de son compagnon.

Ils entreprirent de gravir l’escalier à la suite d’une poignée de courageux. Le soleil brûlant les soumettait à rude épreuve, et ils commencèrent à avoir de plus en plus chaud dans leurs habits apprêtés.

Je ne dois pas transpirer, pensait Bel, sentant ses sous-vêtements lui coller à la peau.

Enfin, ils parvinrent à un plateau au sommet de la montagne. Il y avait là un pavillon d’où l’on pouvait admirer le panorama, et, plus loin, Bel aperçut les engins mécaniques qui éventraient la terre de leurs gigantesques griffes. Gustavo lui prit la main et l’attira à l’ombre du pavillon.

— Le senhor da Silva Costa m’a expliqué qu’ils doivent creuser très profondément, pour que la statue ne risque pas de se renverser.

Il la saisit ensuite par les épaules et la fit pivoter.

— Regardez là-bas.

Suivant la direction indiquée par son doigt, Bel distingua le toit de tuiles rouges d’une élégante construction.

— N’est-ce pas le Parque Lage ?

— Si, et les jardins botaniques, juste à côté, sont de toute beauté. Mais connaissez-vous l’histoire de la maison qu’ils abritent ?

— Non, je l’ignore.

— Eh bien, il n’y a pas si longtemps, un Brésilien est tombé amoureux d’une chanteuse d’opéra italienne. Il souhaitait désespérément l’épouser et l’amener à Rio, mais elle, habituée à l’Italie, refusait de le suivre. Il lui a demandé ce qui pourrait la convaincre de quitter sa Rome bien-aimée. Elle a répondu qu’elle voulait vivre dans un palais comme ceux de son pays. Alors, il l’a fait construire pour elle. Elle l’a épousé, elle est venue à Rio, et elle vit encore aujourd’hui dans cette somptueuse demeure à l’image de sa terre natale.

— Que c’est romantique, souffla Bel.

Elle se pencha autant que possible pour admirer la vue magnifique en contrebas. Aussitôt, un bras lui enserra la taille.

— Attention. Je n’aimerais pas annoncer à vos parents que vous êtes tombée du haut du Corcovado, fit Gustavo en souriant. Vous savez, Izabela, si je le pouvais, je vous ferais construire une maison aussi belle que celle-ci.

Bel demeura volontairement penchée en avant pour ne pas lui montrer son visage.

— C’est très gentil à vous, Gustavo.

— Et c’est vrai. Izabela…, commença-t-il en la faisant pivoter vers lui avec douceur. Vous savez sûrement ce que je suis sur le point de vous demander…

— Je…

Immédiatement, un doigt se posa sur ses lèvres.

— Non, ne dites rien pour l’instant, sinon je risque de perdre courage. Vous êtes si belle, et moi, avec mon physique…, je comprends que je ne suis pas le mari que vous méritez. Nous savons tous deux que vous pourriez avoir n’importe quel homme si vous le désirez. Toute la gent masculine de Rio a succombé à votre charme, comme moi. Mais je tiens à vous dire que je ne vous apprécie pas seulement pour votre apparence extérieure.

Gustavo marqua une pause, et Bel sentit qu’elle devait répondre quelque chose. Elle ouvrit la bouche pour parler, mais à nouveau, il la fit taire en appliquant doucement un doigt sur ses lèvres.

— Je vous en prie, laissez-moi terminer. À la minute même où je vous ai vue à la soirée de votre dix-huitième anniversaire, j’ai su que je voulais être avec vous. Bien sûr, nous ne pouvons nier tous les deux qu’il s’agira d’un mariage de convenance, puisque votre famille apporte l’argent, et la mienne la noblesse. Mais, Izabela, sachez qu’en ce qui me concerne, cette union ne reposera pas sur des fondations aussi tristes, parce que…

Gustavo baissa la tête. Puis, osant relever les yeux vers elle, il déclara :

— Je vous aime.

Bel vit l’honnêteté dans son regard. Elle se doutait, bien sûr, qu’il allait faire sa demande en mariage, mais ne s’était pas attendue à ce qu’il prononce des paroles si sincères, si touchantes. Le discours de sa mère lui revint en mémoire. Curieusement, elle éprouvait un élan de compassion pour Gustavo, et de la culpabilité, aussi. Si seulement elle avait pu nourrir des sentiments identiques à son égard ! Alors, les divers morceaux du puzzle de sa vie se seraient assemblés en un tout harmonieux.

— Gustavo, je…

— Izabela, s’il vous plaît, supplia-t-il encore. J’ai presque fini, je vous le promets. Je comprends que vous ne ressentez rien de semblable pour moi, aujourd’hui. Mais je crois fermement que je peux vous donner tout ce dont vous avez besoin pour vous épanouir dans la vie. Et j’espère qu’un jour, vous en viendrez à m’aimer, au moins un peu.

Jetant un regard alentour, Bel s’aperçut que les autres touristes attirés par le pavillon l’avaient à présent déserté. Ils étaient seuls.

— Si cela peut aider, continua Gustavo, le senhor da Silva Costa m’a parlé de votre désir de visiter l’Europe avec sa famille. Izabela, je souhaite que vous partiez. Si vous acceptez de célébrer nos fiançailles immédiatement et de m’épouser à votre retour, alors je parlerai à votre père et je le convaincrai que ce voyage est une expérience indispensable pour la jeune fille qui va devenir ma femme.

Bel le dévisagea d’un air abasourdi.

— Vous êtes très jeune, querida. N’oubliez pas que j’ai presque dix ans de plus que vous, dit Gustavo en lui effleurant délicatement la joue. Et je veux que vous puissiez élargir vos horizons, comme j’ai eu la chance de le faire à votre âge. Alors, qu’en pensez-vous ?

Bel savait qu’elle devait répondre rapidement. Ce que lui offrait Gustavo, c’était la réalisation de son rêve. Un mot de sa bouche lui apporterait ce qu’elle désirait plus que tout au monde – la possibilité d’échapper à l’étroite prison qu’était Rio.

— Gustavo, c’est une proposition très généreuse de votre part.

— Je suis heureux de vous la soumettre, Izabela. Vous me manquerez chaque jour, mais je comprends aussi qu’on ne peut pas garder de beaux oiseaux dans une cage. Si on les aime, il faut les libérer. Évidemment, je préférerais vous montrer moi-même l’Europe, ajouta-t-il en lui prenant les mains. Je songeais d’ailleurs à vous y emmener pour notre lune de miel. Mais à dire vrai, mes finances du moment ne m’autorisent pas cette dépense. Et mes parents ont besoin de moi ici. Alors ?

Il guetta sa réaction, plein d’expectative.

— Gustavo, vos parents et la bonne société de Rio n’approuveront sûrement pas cette idée. Si nous nous fiançons, ne devrais-je pas rester avec vous à Rio jusqu’à notre mariage ?

— Dans l’Ancien Monde dont mes parents sont issus, l’usage veut souvent qu’une jeune fille entreprenne un voyage culturel avant de se marier. Ils accepteront. Alors, querida Izabela, ne me faites pas languir plus longtemps. Je suis déjà à l’agonie.

Bel prit une profonde inspiration.

— Eh bien… Je pense que je vais dire oui.

Meu Deus. Merci mon Dieu, dit-il avec un soulagement non feint. Je peux donc vous donner ceci.

Gustavo fouilla dans la poche intérieure de sa veste et en retira une petite boîte au cuir racorni.

— Cette bague appartient aux Aires Cabral depuis plusieurs générations. Elle a été portée, selon la légende familiale, par la cousine de l’empereur Dom Pedro lorsqu’elle s’est fiancée.

Bel contempla le diamant d’une pureté parfaite, serti entre deux saphirs.

— Il est magnifique, dit-elle sincèrement.

— La pierre au centre est très ancienne. Elle a été taillée dans les mines de Tejuco, et l’or vient de Ouro Preto. Puis-je l’enfiler à votre doigt ? Juste pour vérifier la taille, ajouta-t-il à la hâte. Parce, bien sûr, je dois d’abord vous raccompagner chez vous et demander officiellement votre main à votre père.

— Oui.

Gustavo fit glisser la bague sur l’annulaire de sa main droite.

— Voilà. Il faudra l’ajuster, votre doigt est si fin… Mais elle vous va bien. Savez-vous, douce Izabela, que c’est la première chose que j’ai remarquée chez vous ? Vos mains. Elles sont adorables.

Obrigada.

Gustavo ôta délicatement la bague et la remit dans l’étui.

— À présent, dépêchons-nous de redescendre avant que les trains ne s’arrêtent pour la nuit. Si nous restions coincés ici, je ne pense pas que cela plairait à votre père, fit-il observer avec humour.

— Moi non plus, répondit-elle, tandis que Gustavo, gardant sa main dans la sienne, l’entraînait vers la petite gare.

Mais elle savait au fond d’elle-même que, maintenant qu’elle avait « ferré » son prince, son père accepterait n’importe quoi.

* * *

Bel monta dans sa chambre pendant que Gustavo parlait à son père. Elle s’assit sur le bord du lit, tendue, après avoir renvoyé Gabriela qui lui proposait de se changer. Son cœur hésitait entre l’inquiétude et un bonheur extatique.

Pourquoi Gustavo avait-il décidé de l’encourager à partir en Europe ? se demandait-elle. Était-il secrètement soulagé de repousser leur inévitable union, parce que lui non plus ne se sentait pas prêt à se marier aussi précipitamment ? Ses parents lui avaient-ils fait subir la même pression qu’elle avait ressentie ? Pourtant, l’affection qu’elle avait lue dans ses yeux lorsqu’il lui avait fait sa demande paraissait tellement sincère…

Ses pensées furent interrompues par Gabriela qui revenait dans la chambre, un grand sourire aux lèvres.

— Votre père vous appelle en bas… et je dois servir du champagne. Félicitations, senhorita. J’espère que vous serez heureuse et que Notre Dame vous bénira en vous donnant de nombreux enfants.

— Merci, Gabriela.

Bel sourit à la domestique, puis se dirigea d’un pas discret vers les voix qui lui parvenaient depuis le salon.

— La voilà, la future mariée ! Viens embrasser ton père, ma princesa, et sache que j’ai accordé ma bénédiction à ton prétendant.

— Merci, Pai, répondit Bel en déposant un baiser sur sa joue.

— Ma petite Izabela, aujourd’hui, tu fais de moi le plus heureux des pères.

— Et moi, le plus heureux des hommes de Rio, compléta Gustavo, radieux.

— Ah ! voici ta mère à qui nous allons annoncer la bonne nouvelle, lança Antonio en voyant Carla entrer.

Ils continuèrent ainsi à se féliciter mutuellement, puis, quand le champagne fut servi, ils portèrent un toast à la santé et au bonheur futur de Bel et de Gustavo.

— Je reste cependant troublé par votre décision de l’envoyer à des milliers de kilomètres d’ici avant de l’épouser, senhor, dit Antonio en tournant son front soucieux vers Gustavo.

— Comme je l’ai expliqué, Bel est encore très jeune. Je pense qu’un voyage en Europe, non seulement la fera mûrir, mais aussi que ce qu’elle verra là-bas enrichira nos conversations quand nous serons vieux et que nous aurons épuisé notre vocabulaire amoureux.

Souriant, Gustavo adressa un discret clin d’œil à Bel.

— Je ne peux me prononcer sur ce sujet, répliqua Antonio. Enfin, j’imagine qu’au moins, elle pourra s’adresser aux meilleurs couturiers parisiens pour concevoir sa robe de mariée, concéda-t-il.

— Absolument. Et quel que soit son choix, je ne doute pas qu’elle nous apparaîtra divinement belle. Je dois prendre congé, à présent, et annoncer l’heureuse nouvelle à mes parents. Mais ils ne seront pas surpris, ajouta-t-il avec un sourire.

— Oui, oui… Et avant que votre fiancée ne parte pour l’Europe, nous donnerons une réception en l’honneur de vos fiançailles. Au Copacabana, peut-être, où vous avez la première fois aperçu votre future épouse, proposa Antonio qui ne pouvait s’empêcher de sourire jusqu’aux oreilles. Il faudra aussi publier un faire-part dans les carnets mondains de tous les journaux, ajouta-t-il en raccompagnant Gustavo à la porte.

— C’est avec plaisir que je confie à la famille de la mariée le soin de s’occuper des préparatifs, répondit Gustavo.

Il prit la main de Bel et l’embrassa.

— Bonne nuit, Izabela. Et merci. Vous faites de moi un homme très heureux.

Antonio attendit que la voiture de Gustavo soit partie, puis, lâchant une joyeuse exclamation, il souleva Bel dans ses bras et la fit tournoyer comme lorsqu’elle était petite.

— Ma princesa, tu as réussi ! Nous avons réussi.

Il posa Bel et alla étreindre sa femme.

— N’es-tu pas contente aussi, Carla ?

— Si, bien sûr. Du moment que Bel est heureuse, c’est une nouvelle formidable.

Antonio observa un moment sa femme et fronça les sourcils.

— Tout va bien, querida ? Tu es très pâle.

— J’ai mal à la tête, c’est tout. Je vais ordonner à la cuisinière de nous préparer un dîner de fête.

Bel suivit sa mère dans le couloir qui menait à la cuisine, en partie pour échapper à l’exubérante euphorie de son père.

— Mãe, tu es vraiment heureuse pour moi ?

— Oui, bien sûr, Izabela.

— Et tu es certaine que tu te sens bien ?

— Oui, querida. Allez. Va vite mettre une jolie robe pour notre dîner.